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Les abeilles face aux variétés tolérantes aux herbicides

mercredi 5 novembre 2014, par André

Les abeilles face aux variétés tolérantes aux herbicides et Michel Metz (collectif anti-OGM31, RSP),

Eric MEUNIER, août 2013
Colza, tournesol, maïs tolérant les herbicides : ces plantes génétiquement modifiées - non transgéniques ! - arrivent dans les champs et les assiettes sans que leurs impacts environnementaux et sanitaires n’aient été étudiés. Obtenues par mutagenèse aléatoire, ces plantes échappent, pour l’instant, à la législation sur les OGM. Donc, pas d’évaluation des risques, pas d’étiquetage ! Selon une expertise collective Inra – CNRS de 2011, « peu de recherches ont été conduites » sur l’impact de ces variétés sur les abeilles.

Le point d’Inf’OGM.

Référencées sous le sigle VTH qui signifie Variétés Tolérantes aux Herbicides, ces plantes sont actuellement commercialisées et cultivées en France. Elles sont un élément d’un modèle agricole basé sur l’utilisation d’herbicides dont les impacts sur l’abeille sont depuis longtemps questionnés.

 

De plus en plus de VTH en France

Les VTH mutées, considérées comme OGM par la directive 2001/18 mais exclues de son champ d’application, sont autorisées à la culture en Europe dès qu’elles ont fait l’objet d’une simple inscription sur le catalogue officiel des variétés de n’importe quel Etat membre de l’Union européenne ou du catalogue européen (cf. tableau ci-dessous). Cependant, la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des herbicides restant de la compétence des Etats, ce sont eux qui de facto permettent la diffusion de ces technologies dans la mesure où elles ne présentent d’intérêt qu’avec l’utilisation conjointe des herbicides.
Les VTH sont apparues en France en 2002 avec la mise sur le marché du maïs « DUO system » de BASF. Fin 2008, ce sont les tournesols de Pioneer et de BASF qui ont été annoncés. En mars 2009, le ministère de l’Agriculture a délivré les AMM des herbicides associés à ces tournesols. Mais, en décembre 2009, le même ministère commandait une expertise scientifique collective (ESCo) Inra/CNRS sur les effets agronomiques, environnementaux et socio-économiques, de l’usage de ces VTH (1). Son rapport final fut rendu fin 2011 (2).
Cette expertise est sévère sur l’utilisation des VTH, formulant jusqu’à des recommandations de « bonnes pratiques agronomiques » susceptibles de préserver l’efficacité de la technologie TH, bien que doutant qu’elles puissent être appliquées, et recommandant la mise en place d’« enquêtes spécifiques enregistrant les motifs et les situations agronomiques d’adoption, les pratiques phytosanitaires effectivement appliquées et les évolutions conjointes de la flore adventice ». Malgré ces réserves, le ministère de l’Agriculture délivre les AMM de deux herbicides pour du colza Clearfield au même moment (juin 2011 et avril 2012).
Les surfaces de cultures commerciales des VTH obtenues par mutagenèse sont difficilement connues car, à la différence des plantes transgéniques, les VTH ne font pas l’objet de déclaration obligatoire. Comme le note l’ESCo, « les informations permettant de décrire et de quantifier leur adoption dans le temps et l’espace sont très rares", tout en précisant que « les premières cultures de tournesols [TH mutés] sont apparues en France, en 2010, et ont couvert une surface estimée à 80 000 ha en 2011 (soit plus de 10% de la sole de tournesol française) » (3). Concernant les cultures de colza TH muté, deux rencontres d’une délégation de l’appel de Poitiers avec le ministère de l’Agriculture les 26 mars et 19 avril de cette année ont été l’occasion pour le ministère de confirmer qu’environ mille hectares de colza TH ont été cultivés pour la campagne 2012-2013 (4). Le comité de pilotage de l’appel de Poitiers s’inquiète des augmentations des « surfaces cultivées avec des variétés de tournesols mutées cependant qu’arrivent sur le marché des variétés de colza [mutées] ». Visant « un juste équilibre entre la ressource semencière en qualité de bien commun, les questions environnementales, sociales et économiques », le comité de pilotage considère que la première priorité est donc : « pas de colza muté VTH dans les campagnes pour les prochains semis ! » (5).

 Les abeilles oubliées dans l’évaluation des VTH

Selon l’ESCo, il n’existe pas d’étude solide montrant l’absence d’effets de VTH, transgéniques ou mutées, sur les abeilles ! Or l’ESCo fait l’hypothèse que des effets directs peuvent avoir pour cause la ou les protéines modifiées par mutagenèse qui peuvent se retrouver dans l’alimentation des abeilles. Ils font également l’hypothèse que les modifications génétiques effectuées pour produire un caractère de résistance à des herbicides provoquent l’apparition d’autres caractères. Ainsi, les effets sur la biodiversité sauvage pourraient aussi avoir pour origine des « modifications secondaires des composés qui attirent les insectes sur ces plantes » (un phénomène appelé effet pléiotropique). L’ESCo conclut qu’« en l’absence de travaux robustes, il n’est pas possible de conclure sur l’existence ou l’absence d’effets des colzas TH, et plus généralement des VTH, transgéniques ou non, sur les colonies d’abeilles » (6).
De potentiels effets indirects de la culture de VTH sur les abeilles peuvent également exister. L’utilisation des VTH entraîne une disparition des adventices qui peut entraîner une baisse de la nourriture disponible pour les abeilles. Mais, « comme [les abeilles et les papillons] peuvent voler sur de longues distances pour trouver de la nourriture, ils ne seront affectés que si la diminution des plantes adventices intervient de façon importante ». Une seule étude est citée quant aux conséquences de la réduction de la présence d’insectes, qui montre qu’un « déficit en insectes pollinisateurs peut entraîner une diminution des rendements »... (7).
Enfin, le dernier impact des VTH sur les abeilles est lié aux herbicides qui vont de pair avec ces variétés. Les herbicides peuvent être toxiques pour les abeilles qui y sont exposées par contact ou ingestion lorsqu’elles butinent des cultures traitées récemment ou en cours de traitement, lorsqu’elles récoltent de l’eau issue du phénomène de guttation et contenant de l’herbicide qui pourrait donc finir dans le nectar, le pollen ou la cire... Or, il n’existe pas de réglementation empêchant la pulvérisation d’herbicides en présence de butineuses (contrairement aux acaricides et insecticides). L’ESCo détaille que la toxicité d’un herbicide « peut affecter les jeunes abeilles tout comme les abeilles butineuses, ainsi que les œufs et les larves ». Mais l’évaluation de cette toxicité avant autorisation d’un herbicide (comme pour les autres pesticides) est insuffisante, toujours selon l’ESCo. Car elle repose sur la dose létale 50 (DL50) qui correspond à la dose tuant, en conditions expérimentales, 50% d’une population d’insectes en deux jours. Une dose qui « n’a aucune valeur biologique » : selon l’ESCo, « la valeur qu’il serait le plus utile de connaître est la dose sans aucun effet sur ces insectes, mais actuellement cette dose n’est pas demandée dans le cadre des procédures d’homologation ». (8)
Par ailleurs, les effets non mortels d’un pesticide sur des abeilles (effets dits sublétaux) ne sont pas non plus pris en compte. De même pour les effets synergiques entre molécules. Le rapport de l’ESCo explique qu’il est « maintenant établi que des molécules étudiées séparément peuvent n’entraîner aucun effet toxique chez un insecte, à une dose donnée, mais que l’association de deux - ou plus – de ces molécules, à cette même dose, peut entraîner des effets toxiques ». Or, de telles données n’existent pas en cas d’association de pesticides (herbicides, insecticides et/ou fongicides) (9).
En conclusion, laissons la parole une dernière fois à l’ESCo : « L’importance d’évaluer, de manière rigoureuse, les effets éventuels, directs et indirects, des VTH sur les pollinisateurs est particulièrement cruciale à l’heure actuelle, alors que les mortalités de colonies d’abeilles sont élevées en France (et dans de nombreuses régions du monde), et que le déclin général des pollinisateurs est démontré [entraînant] des conséquences négatives importantes au niveau agricole et au niveau de la biodiversité des plantes sauvages » (10). Une conclusion à laquelle les apiculteurs devraient sûrement adhérer.
 
Publication
Nouvelles techniques de manipulation du vivant, pour qui ? Pour quoi ?- 2011